Communications CMAQ _Geneviève David
Agile et d'argile. Quand la matière de Pascale Girardin magnifie l’âme.
Entrevue CMAQ_Geneviève David avec Pascale Girardin
Photos Stephany Hildebrand, curioustephy et Atelier Pascale Girardin
MONTRÉAL
Pascale Girardin — Céramiste , merci d'avoir arrêté le temps et d'avoir accepté de te prêter au jeu de l'entrevue Matière à réflexion. Ici, pas de règles, pas de réponses justes. Ici, on passe de la confidence au ludique, du savoir au faire et des contrastes à la lumière.
Ta matière, pourquoi? Elle évoque quoi, elle t’inspire quoi, qu'elle est ton lien avec elle
L’argile me renvoie à ma propre sensibilité. Je dois m’adapter à elle lorsque je la manipule, quel que soit son état. Par exemple, quand elle est humide, je dois y aller avec la plus grande délicatesse, la tenir « comme un petit poussin », car chaque pression risque de la déformer et de laisser des traces que je retrouverai plus tard au défournement. « L’argile a une mémoire », comme on dit et elle me rappelle mes gestes ou mes distractions lorsque moi, j’ai peut-être oublié.
Elle évoque quoi, elle t’inspire quoi, quel est ton lien avec elle ?
Pour moi, la pratique de la céramique est un travail d’adaptation, d’écoute, et de découverte de potentiels — le mien et celui de la terre. Je dois m’ajuster à chaque étape de la transformation de la matière. Je suis une artiste réceptive qui est à l’écoute. Je ne cherche pas à discipliner ou contrôler la matière, je cherche plutôt à la comprendre afin d’en révéler sa richesse.
Pourquoi parles-tu de référent et de dispositif quand tu parles de tes pratiques ?
La terre est le référent, le noyau de base duquel je pars et appui mon travail de création. Les qualités plastiques de l’argile ainsi que ses cycles de transformation, de l’état humide à sa vitrification, me fascinent. J’aborde ces questions sans toutefois en faire la démonstration. Le dispositif quant à lui est le moyen par lequel j’exprime ces notions. Mon moyen est l’argile.
Comment expliquerais-tu ton métier à un enfant ?
Je prends la terre entre mes mains. Elle est collante, froide et humide. Je l’écrase un peu avec les doigts. Je l’observe. Je la tape entre mes paumes. Voilà maintenant une petite galette. À quoi me fait-elle penser ? Un petit plat ? Un soleil ? Un pétale ? Je vais la regarder attentivement et attendre qu’elle me dévoile ses secrets.
Mais au fait, l’expression « colosse aux pieds d’argile » est-ce inspirant ?
Pas du tout !
Tu rêves de voir ton art… ?
Dans un sac d’argile, avant d’amorcer un nouveau projet.
Dans la vie, agile ou argile ?
L’agilité est une grande qualité que j’entretiens. Surtout dans un métier où je dois soulever des boites de 20 kg, pétrir des masses d’argile, enfourner et défourner au fond d’un four. De même, l’agilité de l’esprit propulse ma créativité. En revanche, la vie sous la lentille de « ou » m’intéresse plus ou moins, je préfère l’appréhender par le « et » !
Et.... la terre dans tout cela ? On parle de la planète ?
C’est l’humanité qui me préoccupe le plus. La terre serait en meilleur état en notre absence — elle s’en remettrait toute seule, transformée certes, par le simple principe d’entropie. Je crois que si l’on remplace l’expression « sauvons la planète » par « sauvons l’humanité qui fout tout en l’air » on aurait une meilleure perspective des problématiques que nous engendrons ! Toutefois, si on parle de la terre d’argile, je tiens à remercier les forces géologiques à l’œuvre qui ont créé la roche-mère, la roche feldspathique qui fournit la matière principale de l’argile. Mes premières études m’ont menée vers la biologie où j’ai découvert le fabuleux monde de la science. Contrairement à ce que certains peuvent s’imaginer, la science est un art qui accueille les mystères, les étudie pour tenter de comprendre ce qui nous entoure. Elle produit de l’émerveillement et plus de questions qu’il n’est possible de répondre. La méthode scientifique m’a appris à être curieuse et humble afin d’accepter que mes théories soient soumises à l’étude et possiblement à la réfutation. Le doute et l’incertitude peuvent être réconfortants, car ils font appel à la conscience et à la présence.
La pièce ou l’expression ?
L’expression se retrouve partout. Dans la façon dont je brasse un émail avant de m’en servir (doucement, sans créer de bulles) aux gestes que je repasse dans ma tête maintes fois avant d’entreprendre le travail. Chaque pensée, chaque mouvement, chaque intention émane de l’expression. Que ceci se manifeste au travers d’une tasse, d’une installation ou d’une sculpture, la créativité, la beauté, la curiosité, l’élégance, la justesse et l’émotion y sont toujours présentes. Sans quoi le travail de la céramique ne serait qu’une suite de gestes pour produire des objets sans histoire.
Tu as en tête une escapade… tu nous fais découvrir quels artisans ou artisanes en métiers d’art et de quelle région ?
Québec ! Il y en a trop pour tous les nommer, mais en voici quelques-unes : Chantal Fortin tisserande, Amélie Proulx céramiste, Mireille Racine chapelière, Julie Bégin et Mélanie Denis, joaillières et Claire-Alexie Turcot, sculpteure !
La dernière chose que tu viens d’apprendre ?
Cette semaine, j’ai appris :
— La technique et le temps optimal de séchage pour l’humble petite assiette à pain.
— La réparation de fissures présentes sur quelques nouvelles pièces dont les formes tendent à créer des tensions mystérieuses.
— La finition des rebords de pétales à l’aide d’une roulette à impression.
— Les réglages idéaux de mon flash pour photographier mes nouvelles pièces.
— Que les feuilles du silène, cette humble plante de bord de route, sont comestibles.
— Que l’oiseau qui chante si joliment aux abords du chemin de fer est un bruant chanteur.
Boomerang ! À qui lances-tu l’invitation pour notre prochaine entrevue ?
Marie-Anne Miljours, artisane du cuir.
