Marie-Pier Aubry
Entrevue avec Amélie Bonenfant, céramiste
Amélie Bonenfant, céramiste passionnée de la relève établie à Saint-Jean-sur-Richelieu, est membre professionnelle au CMAQ depuis février 2023. Elle explore la polyvalence et la versatilité des objets, créant des pièces uniques aux formes et finis organiques. Ses origines et influences se révèlent dans sa connexion avec la nature, évoquée à travers des formes inspirées des nuages et du mouvement des fleuves. Sa motivation initiale repose sur l'amour de l'esthétique propre à la céramique et sur la volonté de créer des objets aussi fonctionnels qu'évocateurs.
« J’aime que mes pièces ne soient pas parfaitement identiques entres elles et que les gens imaginent des histoires dans leurs finis. »
Amélie s’inspire des formes fantastiques issues de l’imaginaire qui peuvent émerger en regardant le ciel et ses nuages, ou alors le fleuve et les couleurs environnantes. C’est ce lien avec la contemplation de la nature qui, de son propre aveu, est impossible de dissocier de sa démarche.
Techniques, couleurs et formes
Son style se manifeste par des formes organiques et des motifs aléatoires contrastants d’un bleu profond. Pour créer ses pièces, Amélie utilise des 3 techniques de mise en forme : le façonnage, le tournage, et le moulage. Son travail se caractérise également par l’usage de d’argiles brunes et blanches, provenant de deux sortes de terres différentes. Le bleu résulte d’un pigment qu’elle intègre à la blanche, les pétrit ensemble, créant ainsi un dessin aléatoire.
« On peut dire que c’est du nérillage, parce que je viens ajouter des morceaux d’argile colorée bleue dans une autre sorte d’argile. Bien que les formes et les motifs soient disposés de manière organique, il y a tout de même une organisation qui est faite en premier lieu. Ces éléments sont disposés sur mes plaques d’argile pour le façonnage, et je prends le temps de les positionner de manière structurée. C’est un procédé pour les organiser, tout en laissant aller les choses, c’est un désordre organisé. J’aime les surprises! »
Erreurs créatives
Ce processus est assez rare, car il comporte son lot de défis. Lorsque différents types d’argiles se retrouvent dans une même pièce, les risques d’échec lors de la cuisson augmentent, puisqu’elles ne se comportent et ne réagissent pas exactement de la même façon. L’arrivée des vidéos rapides partagés sur les réseaux sociaux d’artisans céramiste ne représente pas toujours la réalité. La facilité et rapidité de créer des objets en céramique sur les réseaux sociaux est plutôt loin de la réalité. Elle explique que c’est ce qu’elle souhaite partager avec ses étudiants, souvent aux prises avec une certaine anxiété de performance :
« Je trouve que ça c’est exceptionnel, d’être capable d’assez d’humilité pour partager autant tes bons coups que tes échecs, particulièrement avec les étudiants. Se planter, ça existe et c’est normal. Documenter des erreurs, ça aide pour les autres à s’améliorer ou se sentir moins découragé. Aucun céramiste n’arrive à quelque chose de parfait du premier coup. Une bulle d’air est si vite arrivée! Partager les flops c’est important. Les images parfaites que l’on voit chaque jour sur les réseaux sociaux, ça se doit de représenter la réalité de manière plus authentique. »
Écoresponsabilité active
À travers le Parcours écoresponsabilité en métiers d’art, une formation offerte par le CMAQ en collaboration avec l'École des entrepreneurs du Québec, avec Amélie vise notamment à approfondir ses connaissances sur la gestion des matériaux et des déchets. Elle cherche également des moyens d'optimiser ses pratiques pour minimiser l'empreinte écologique de son travail, intégrant ainsi des valeurs durables dans son processus artistique.
« Je pense que la société s’est un peu perdue dans l’accélération de la consommation, chose que je ne peux pas gérer, mais je peux me gérer moi, et faire des produits qui sont en harmonie avec mes valeurs. »
Communiquer pour une meilleure consommation
À son atelier-boutique Majeli, Amélie partage sa passion en donnant des cours de céramique plusieurs fois par semaine. Ce rôle lui permet de partager les notions de patience, d’humilité et de lâcher-prise à ses étudiants. C’est par la sensibilisation qu’elle traduit son engagement à communiquer l’importance de la durabilité des objets artisanaux, créant ainsi une connexion plus profonde avec chaque pièce.
« Quand je donne un cours, et qu’une personne réalise une pièce de A à Z, la personne vient de comprendre que faire une pièce en céramique, ça ne se fait pas en une journée, ça va prendre plusieurs semaines avant d’être prêt et sortir du four. C’est à partir de ce moment que la personne développe une conscience de la valeur de la tasse en céramique »
S’impliquer à son échelle
Amélie privilégie le recyclage et l’utilisation de matériaux récupérés. Elle cherche des alternatives écologiques et envisage de collaborer avec d’autres artisans pour partager des ressources, favorisant ainsi une approche circulaire, directement dans sa communauté à Saint-Jean-sur-Richelieu.
« J’essaie de m’impliquer au maximum, à mon niveau. Je fais tout ce que je peux, à mon échelle. J’aime l’idée de me mettre en lien avec d’autres entreprises, et que les extrants des unes puissent devenir les intrants des autres. Amener une circularité de déchets. Par exemple, parmi les outils que j’utilise, il y a les éponges auxquelles je ne trouve pas d’alternative encore. Mais j’ai peut-être trouvé! À travers un rembourreur de la région, je vais tester ses retailles, pour qu’elles deviennent mes éponges à moi. Moi je vais quand même créer un déchet avec, mais au moins ça va donner une deuxième vie aux éponges! Il faut que je me concentre sur les choses que je peux changer, et en faire plus pour compenser les choses que je ne peux pas changer. »
Céramiste-citoyenne
Amélie souligne le rôle éducatif des métiers d’art en sensibilisant les gens à la valeur du travail artisanal et des métiers d’art. Elle se fait un devoir citoyen d'éduquer sur la durée de fabrication des pièces, la nécessité de réduire les déchets, et la valeur intrinsèque des objets artisanaux.
« À travers les cours d’initiation à la céramique que je donne, j’essaie de sensibiliser une personne à la fois […] C’est un devoir citoyen, une responsabilité de l’artisan de prendre le temps de montrer les dessous du travail et la valeur des objets. »
Amélie est ambassadrice du Parcours Écoresponsabilité en métiers d’art, une formation du CMAQ auquel elle participe depuis le printemps 2023. Ce Parcours offert en collaboration avec l'École des entrepreneurs du Québec, cible les artisan.es professionnel.les souhaitant effectuer un virage vers la transition verte. Ce parcours en plusieurs volets vise à montrer des pratiques exemplaires en atelier, explorer de nouveaux modes de production, développer des partenariats pour intégrer un approvisionnement responsable et se penche également sur l’éthique et la sensibilisation à la santé mentale.
Pour en savoir plus sur le Parcours Écoresponsabilité en métiers d’art, visionnez cette entrevue du Studio métiers d’art.
Ce programme est soutenu par la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), dans le cadre du Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’œuvre (le Fonds) par l’intermédiaire du Programme Ambition-Compétences, administré conjointement avec le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS).
Crédit photo : Audrey Demers